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Lorsqu'on voit les esquisses de Mazilu, ces premiers traits crayonnés au hasard sur le papier, on pense à cette écriture automatique qui a le pouvoir magique de faire surgir des messages venus d'ailleurs.
Dans ces griffonnages tracés dans un état semi-onirique, apparaissent des créatures qui toutes ont un nez tombant, la bouche sinueuse et les yeux tristes. Transposés sur la toile, ayant pris forme définitivement, ils s'offrent à nos interrogations.

Aucun de ces personnages n'est heureux, comblé : ils sont humbles, résignés, solitaires, enfermés dans leurs pensées et leurs occupations énigmatiques. Le rapport avec autrui se fait parfois seulement à l'aide d'un geste esquissé, d'un fil ténu, de la trajectoire d'une bille que leur regard ne suit pas. D'ailleurs, aucun d'eux ne semble voir l'autre.
Leur vision intériorisée pose devant le réel un écran de souvenirs et de mélancolie.

Le comptoir aux chats

Ces êtres ont, par leurs proportions, des tailles d'enfants ou de lutins. Ils ont des oreilles d'elfes, sèches, feuillues, nervurées, froissables comme du papier, leurs bouches sont closes et leurs sourcils froncés. Ils se ressemblent tous par ce nez charnu, vulnérable, émotif et par ces yeux noirs au regard lointain. Leur crâne est presque toujours chauve ou orné de lambeaux d'étoffes, de bonnets, de petits capuchons qui font penser que les enfants de ce peuple naissent coiffés.
Quelquefois, ils n'ont pas de jambes, pas de bras. Ils sont remplacés par des pattes articulées de pantin, des racines, des roues de vieux jouets, ou simplement, leur corps inachevé flotte dans le vide. Ils supportent ces manques et ces ajouts insolites avec la résignation de l'habitude.
Ils sont nés ainsi et s'accommodent humblement de ces corps infirmes. Leurs prothèses sont maladroitement fixées par des fils transparents de bâti ou des lanières de cuir nouées et renouées. Des lambeaux de couenne sont posés sur eux comme des peaux supplémentaires, attachées, boutonnées, cousues tant bien que mal au hasard des déchirures successives et des rafistolages improvisés.
Ce mélange d'épiderme et de vêtements recouvre les corps mais en fait aussi partie. Il semble qu'ils aient porté ces haillons depuis le début de leur existence et qu'étirés, tannés, enroulés, noués, rivés par endroits, ils aient servi de carapace externe à ces corps difformes dont ils maintiennent l'ensemble. À ces haillons s'ajoute parfois le raffinement d'une perle de verre, d'une agate, d'une pierre de lune : gouttes d'eau bien rondes, précieuses et transparentes peintes avec délicatesse. Des jeunes filles portent dans leurs cheveux des diadèmes arachnéens de perles fines et de fils d'argent.
Des tracés de lumière, presque imperceptibles, relient l'espace d'un personnage à un autre, assemblent deux étoffes ou soulignent le bord d'un vêtement.

Clown

Ces lutins, ces gnomes, dont le corps est agencé de façon improbable ont cependant des membres terminés par des pieds et des mains bien humains. Ceux-ci sont parfois trop grands ou trop minces, souvent disproportionnés, mais les articulations de leurs phalanges et leurs ongles, sont minutieusement dessinés.
Leurs mains sont des mains de pianistes, de harpistes, de mimes, aux gestes expressifs et délicats. Plus que leurs visages ce sont elles qui traduisent les émotions, elles désignent, racontent, expliquent.
Elles se tendent, se croisent et leurs doigts semblent avoir entre eux des rapports de complicité et d'affection.
Ces créatures collectionnent des objets qui sont des trésors enfantins : cadrans de montre aux chiffres mystérieux, lacets, cartes à jouer, bouts de carton, de tissu oubliés ou jetés, des billes, des boutons, des ficelles... tous ces modestes trésors peuvent servir à des jeux secrets dont les règles inventées par un enfant sont connues de lui seul.
Des animaux vivent près d'eux, des animaux confiants et tendres qui ne quémandent en général aucune caresse à ces humains distraits aux regards lointains.
Ils éprouvent des sentiments si semblables aux leurs que leur physionomie souvent est la même.
Ils ont de tristes yeux de jouet qui affleurent à travers un cercle de peau.
Ils possèdent, eux aussi, ces nez longs et sensibles et cette bouche sinueuse et fermée.
Ils partagent les mêmes avatars que leurs maîtres, ils sont couturés, désarticulés et remontés avec fantaisie dans des assemblages insolites, et ils oublient parfois qu'ils sont des êtres à quatre pattes...

Ces farfadets ont des femmes semblables à eux. Elles subissent les mêmes transformations, ont les mêmes visages et les mêmes nez tristes, leurs compagnons sont à peine effleurés par leurs gestes et leurs regards sont ailleurs.
Mais à l'écart, seule, il y a la femme celle dont la nudité parfaite a été respectée du peintre. Elle aussi rêve et s'offre, tranquille, à la contemplation et au désir de celui qui l'a peinte et de ceux qui la regardent.

Curieusement, nous ne sommes pas tentés de plaindre ces êtres pour leurs difformités, leurs manques, car ces petites créatures sont aimées dans la mesure où elles se plient à l'arbitraire de leur créateur.
Elles acceptent d'être des espèces de jouets que l'on monte et démonte, que l'on désarticule et recrée avec la fantaisie à la fois innocente et sadique des enfants.

Leurs jeux énigmatiques font surgir en nous de vagues réminiscences de moments de solitude où autrefois nous avons, nous aussi tracé les signes cabalistiques d'une magie occulte et inventée à l' écart des rites connus de nous seuls. Mais leur regard, lui, se démarque des silhouettes grotesques pour contempler en elles-mêmes un songe triste d'adulte ou d'enfant tôt mûri.

Tous ces individus sont confinés dans un espace clos. Une fois seulement une étroite fenêtre laisse entrevoir le ciel. D'autres ouvertures s'ouvrent implacablement sur le noir. Les meubles, les objets sont rares, schématiques : une chaise, une table, un tabouret... presque rien.
Le plus souvent, les pièces sont faites de vide et d'ombres. La touche est fluide, légère, il n'y a pas d'empâtement mais des frottis délicats qui irisent les couleurs sous-jacentes de beiges nacrés de jaunes dorés et de blancs soyeux. Mais le brun domine. Du sépia et de l'ombre brûlée à la tonalité chaude des ocres clairs. Les chairs ont à leur surface des frissons colorés de bleus passés, de roses et de beige pâles. Des patines mordorées revêtent les peaux mortes, les plis usés des vêtements, les tendons desséchés et la corne qui ourle les lanières de cuir. Enfin, plus éclatants, plus purs, sur les habits et certains accessoires, des bleus chauds, des verts amande, du vermillon mêlé d'ocre rouge, des verts olive cuivrés, et la fraîcheur apaisante de noirs absolus.


Quels sont les rapports de tous ces êtres avec leur créateur ?
Ils sont ses jouets, ses marionnettes, ses fantaisies.
Il les fait surgir du néant pour leur donner une vie, une histoire.
Sans lui, personne n'aurait pu les voir, les connaître et en peupler à son tour son imaginaire.
Plus profondément, ils sont la preuve de son pouvoir de créer et d'ajouter au monde une trace ineffaçable.

Mazilu a peint un ange qui bascule en tendant le bras pour retrouver son équilibre à l'aide d'un fil à plomb.
Alors qu'à droite, son visage, son ventre, sa poitrine sont éclairés d'une lumière vivante et chaude, la partie qui tombe est décharnée et ligneuse, son aile a l'aspect d'une feuille morte recroquevillée et desséchée.
Il semble résumer un aspect de cette œuvre où la tendresse, le baroque, la fantaisie, la beauté, se lient à l'inquiétude de la solitude, de la décrépitude et de la mort.


La chute de l'ange

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Georges Mazilu
www.artactif.com/mazilu-georges
www.mazilu.fr
Contact : plaindoux.peintre@free.fr design et développement : Audrey Lefeuvre