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Dan Robert, le sculpteur, s’arrête devant un bloc de pierre. Sur son visage on lit une interrogation : qu’en ferais-je ? Cette masse est-elle exploitable ? Recèle-t-elle quelque chose, quelqu’un ?
Il le palpe, l’évalue. Le bloc a l’air de répondre à ces mains qui le jaugent. Puis il est abandonné : non, il n’y a rien là, je ne peux rien en faire, ni sa matière ni sa forme ne me permettront de le transmuter en une chose vivante… Il ira chercher ailleurs, un matériau dont le poids, le grain, la consistance et tout un ensemble de qualités qu’il est le seul à percevoir, lui diront qu’il peut en tirer une œuvre. La sculpture est un métier manuel, on déplace des blocs de pierre, de marbre, de lourds sacs de glaise. Ces matériaux présentent des impératifs mécaniques. On ne peut leur imposer n’importe quelle contrainte ; on doit savoir ce qu’ils peuvent vous offrir et ce que l’on ne pourra pas leur demander. En examinant un minéral, en le soupesant, en promenant sur lui des doigts avertis, le sculpteur sonde ses possibilités et, en quelque sorte la docilité ou la résistance qu’il manifestera lorsqu’il l’aura entrepris.

Le réveil

De la pierre tendre, calcaire, semi-dure, aux pierres compactes comme l’albâtre, la stéatite, l’onyx, l’artiste-artisan devine ce que chacun de ces minéraux recèle de ressources particulières et ce qu’il pourra en extraire. Lorsqu’il taille la pierre, Dan Robert joue avec tous les aspects qu’elle peut prendre. L’épiderme de ses statues va du poli parfait, soyeux et brillant au relief rugueux donné par le martèlement des coups de ciseau. Il peut laisser des surfaces granuleuses ou les lisser soigneusement au papier de verre. Il sait rendre la couleur de la chair avec le marbre. Ce marbre presque tiède au toucher qu’il choisit souvent teinté, parcouru par des veines colorées, suggérant une palpitation des organes sous la peau. Il y a parfois une évocation discrète de détails : il sculpte des écailles sur certaines parties du corps de ses sirènes, les replis et les stries d’une chevelure viennent caresser un torse lisse et plein. Une draperie vient mettre une épaisseur légère sur une peau pour souligner un sein, des fesses, une hanche, pour prolonger dans l’espace une courbe ou un mouvement. Ce mouvement, il le saisit au moment même où il est le plus expressif. Il le déformera, l’amplifiera au besoin, pour que sa signification frappe davantage le spectateur. Il sait, dans une matière compacte, traduire le dynamisme, la légèreté. Son ciseau suit les courbes des vagues, des chevelures, les replis délicats des étoffes et parvient même à concrétiser le souffle du vent et les rayons impalpables de la lumière. Souvent, Dan Robert estompe les éléments trop précis qui nuiraient à l’ensemble. Il cherche l’harmonie, la beauté. Il n’y a pas de cassure, de rupture, dans ses représentations. La conjugaison d’une forme avec une autre se fait avec aisance. Il relie deux volumes pour ne pas arrêter le regard. Il est attentif à ce que les vides et les pleins se contrebalancent, à ce que l’espace qui enveloppe sa sculpture soit cohérent. Il veille surtout, à ce qu’en faisant le tour de son ouvrage, on découvre une succession d’équilibres découlant harmonieusement les uns des autres. Il y a dans ses statues des trouées qui traversent la matière et qui font entrer dans celle-ci l’air et la lumière. Il joue avec les ombres qui, bien qu’ immatérielles et mouvantes, ont un rôle primordial. Il suffit de déplacer une lampe autour d’un bloc sculpté pour voir à quel point l’orientation des rayons lumineux peut changer son aspect. L’artiste sait utiliser ces variations de l’éclairage qui vont accentuer ou atténuer les volumes. Il va aussi tenir compte de l’ombre portée que projette sa sculpture car notre regard va tout naturellement l’intégrer à celle-ci, même si nous n’en avons pas conscience.

Les créations de Dan Robert respirent la plénitude, l’harmonie, la douceur. Beaucoup d’autres artistes préfèrent s’orienter vers les expressions de l’énergie, de la vigueur virile, de la violence même. Ils choisissent des formes plus âpres, plus agressives, plus chaotiques. Ils élaborent des représentations d’êtres ou de choses dont l’aspect dérange ou bouleverse le spectateur. Il y a cependant, dans le désir de n’évoquer que ce qui est beau et bon, la même force sous-jacente que dans l’expression du contraire. L’artiste a eu la volonté, là aussi, de s’attaquer à une matière dure et compacte et d’en extraire une figure, jusque là virtuelle, qu’il a voulu arracher au néant. Il a fallu avoir le courage de dire, de signifier, d’imposer une vision particulière en transformant un minéral inerte et obtus en une œuvre pleine de sens.

La créature que le sculpteur enfante a, au-delà de sa signification immédiate, pour ainsi dire narrative, une signification plus vaste. Elle traduit le caractère, les sentiments, les pensées de celui qui l’a mise au monde, elle traduit aussi et surtout, sa vision personnelle de la vie. Si l’œuvre de Dan Robert exprime la bonté et l’harmonie, c’est que ces valeurs sont en lui, mais c’est aussi qu’il s’agit là du message qu’il veut transmettre. Ses femmes expriment l’élan joyeux, la sensualité, l’amour maternel… ses enfants sont de tendres et gracieux Cupidons… ses sirènes ne sont pas ces créatures mangeuses d’hommes qui attiraient les marins par leurs chants pour les dévorer, ce sont des néréides qui s’ébattent voluptueusement dans une mer ample et féconde. Il a, vis-à-vis de ses propres œuvres, des gestes de tendresse. Il considère son enfant, sa fille, la femme qu’il a façonnée ; elle est finie, ou presque… Il a le droit d’intervenir. Il est le seul à pouvoir la modifier. Il la caresse du regard et de la main. Puis il prend son ciseau et corrige très légèrement une ombre ; avec du papier de verre, il achève de lustrer une surface ; il râpe délicatement un défaut imperceptible. La figure sculptée semble se laisser faire et accepter cette main précautionneuse et tendre qui la parfait, comme un enfant que débarbouille sa mère.

Sirène
Il y a dans la mise au monde par le sculpteur d’une forme féminine un élément particulier : cette image est le reflet de son désir. Il subit le charme qu’exerce sur lui la matérialisation de ses fantasmes. En surgissant de la matière, elle va se mettre à exister par elle-même et affirmer sa propre volonté. Le créateur aura un échange immédiat avec sa créature qui guidera ses initiatives comme une amante. Le temps de la création sera un élevage accéléré, une éducation réciproque, un temps d’amour et de plénitude que le polissage final achèvera en caresses entrecroisées et multiples. Mais bien que femme, cette œuvre n’est pas seulement le réceptacle d’une libido particulière. L’artiste poursuit un dessein plus vaste. Il n’ignore pas que le désir qui est en lui est celui de toute vie aspirant à se reproduire et qu’il a été, depuis la nuit des temps le moteur de toute création. La matière de laquelle il l’extrait promet à son œuvre l’immortalité. Les pierres gravées ou sculptées. Les marbres, les bronzes, ont de tous temps resurgi pour dire aux hommes ce qu’ont été, les dieux, les rois et les rêves de ceux qui les ont précédés. La femme ne sera donc pas seulement la représentation d’une chair aimée et désirée, elle rejoindra les symboles premiers. Elle sera aussi déesse et entité. Elle sera Eve, mère de l’humanité ou Isis, principe féminin de la génération, ou encore Déméter protectrice de toutes les floraisons et de tous les fruits.

Elle sera Gé, notre terre, lourde et charnelle, prête à tous les enfantements. Mère universelle, elle est accompagnée des eaux primordiales, et baigne dans les rayons de la lumière originelle. Elle est environnée par des sphères des planètes, du soleil et de la lune, par le vent et les nuages. Elle sait qu’elle est reliée par sa matrice à la création toute entière et c’est pour cela qu’elle est souvent porteuse de son fruit : l’enfant. L’enfant de pierre, qui était caché au sein du bloc compact comme l’enfant dans le sein de la femme. Elle le présente comme la preuve qu’elle est capable, elle aussi, de mettre au monde un poids de chair où scintille l’esprit.
Un grand nombre de sirènes sont sorties des mains de Dan Robert. Elles sont ses filles, ses créatures. Unissant en elles deux éléments, ce sont des êtres hybrides capables de vivre et de respirer dans l’air comme dans l’eau. Elles sont les figures de proue de l’immense espace marin où la vie a pris naissance.

C’est sa nageoire caudale qui fait de la sirène un être fabuleux. Queue robuste, élastique, vigoureux prolongement du corps, gouvernail de chair, musclé par la nage, qui peut frapper brusquement les eaux, faire jaillir l’écume, soulever puissamment les ondes et renverser d’une poussée la barque du pêcheur.

Elle oriente la sirène, elle la fait pivoter dans l’espace à trois dimensions où elle se meut. Elle la propulse dans les profondeurs marines ou la fait bondir au-dessus des vagues. Le sculpteur lui donne toutes les potentialités d’un membre vivant : au repos, la sirène s’y appuie mollement dans le confort de sa propre chair ou la laisse prolonger son corps comme une ondulation qui va rejoindre les flots. Tantôt elle la replie sous elle, tantôt elle se dresse majestueuse sur son enroulement comme un cobra royal. Cet appendice est aussi, pour le sculpteur un S fertile, une infinie possibilité de volutes, de spirales… Cette masse, qui remplace le double volume des jambes, s’enroule autour du corps, se replie autour de lui, sous lui. Elle est tantôt horizontale comme celle des poissons, tantôt verticale comme celle des mammifères marins. Les deux parties qui la terminent, ondulent comme des drapeaux ou tranchent l’air comme des pales . Cette extrémité bifide aussi haute parfois que la sirène elle-même revient caresser ses flancs, ses bras, son visage, sa chevelure. Cette chevelure, qui, elle aussi, prolonge et imite les flots. Elle a la fluidité et les courbes des vagues, ses boucles se nouent et se dénouent autour de la silhouette de l’ondine, la caressent, se séparent en mèches mouillées qui soulignent ses formes et donnent la réplique aux arabesques que tracent son corps.

A l’instar des dauphins et des baleines, la sirène est pourvue de mamelles nourricières et l’appendice qui fait d’elle aussi un animal, condamne celui qui la désire aux tentations de la bestialité. Quel est son partenaire, son amant ? un dauphin, un triton, un homme ? par quel orifice peut-il la posséder, l’ensemencer ? pondra-t-elle des œufs d’où sortiront des enfants-tritons ? Pourrait-elle enfanter des bébés simplement humains ? Il n’y a pas dans son anatomie l’emplacement d’un sexe féminin. Se contente-t-elle de n’être qu’une apparence, réduite à son étrangeté anatomique ? Si elle n’est qu’une forme, il semble n’y avoir pour elle possibilité d’aucune vie charnelle. Et pourtant… Elle est femme, elle est nue, celui qui la regarde contemple à travers elle son propre désir : les courbes, les seins, les lèvres, les yeux, le regard…Pourquoi pas des sensations, des sentiments, des pensées ? Sa forme humaine lui donne accès à tout ce qui est humain. L’expression de joie, de tristesse, de sérénité que lui a donné l’artiste la crédite de tous les autres sentiments qu’un humain, une femme, peut ressentir. Du moment qu’elle a un visage et un corps, elle vit ! Et si elle est muette, si cette néréide de pierre ou de bronze, ne peut ensorceler par ses chants, elle est tout de même la personnification de l’harmonie par les ondulations de ses nageoires, de son corps, et de tout ce qui s’enroule et fluctue autour d’elle.

Dan Robert, s’il sait traduire dans ce minéral lourd et compact qu’est la pierre, le mouvement et la légèreté, va, lorsqu’il passe de la pierre au bronze, donner une impression plus grande encore, de grâce aérienne. Le bronze a un poids spécifique bien supérieur à celui d’un corps, mais Dan Robert affranchit ses figures de la pesanteur. Ses femmes de métal bondissent, lèvent les bras, sont saisies en équilibre sur un seul pied, au moment d’une course, d’une danse, d’un essor vers le ciel, leur chevelure et leurs vêtements flottent derrière elles et le souffle de l’air passe sur leurs visages tendus. Il rajoute même des accessoires plus déliés, plus fins, qui permettent à ses figures de s’emparer d'avantage encore de l’espace qui les environne : il leur fait lancer un cerf volant que notre regard s’apprête à suivre dans les airs, une corde qui se perdra dans les hauteurs, des anneaux qui vont tournoyer au-dessus de nos têtes. Ces créatures graciles sont le mouvement, le rythme, l’élan. Mais au-delà encore, elles peuvent devenir le support de toutes les allégories, de toutes les abstractions : la liberté, nue et bondissante qui va relâcher dans l’azur l’oiseau qu’elle brandit. L’Europe triomphante, cernée par l’océan et le vent, la Victoire svelte, les bras levés, exprimant la joie de tout son corps. Le contour extérieur suggère le contenu : la pensée est à l’intérieur même de la forme. La sculpture est un monde «condensé». Il faut dans une seule masse faire percevoir un sens global. L’artiste doit avoir assez de force de persuasion pour susciter chez le spectateur les sentiments et la réflexion. L’apparence doit être explicite. Le galbe, le geste, doivent signifier. Il faut tout dire en une fois.


L'arc en ciel
Ces bronzes ont un attrait supplémentaire : ils sont colorés. Lorsqu' ils sont sortis du moule, le sculpteur se faisant peintre, élabore la patine dont il va recouvrir leurs corps nus. Il va employer toutes les nuances, du brun or au vert bleuté, conférant à chaque silhouette sa particularité. Il donnera à ses œuvres les couleurs des oxydes : celui du fer : brun-rouge, du cuivre : bleu-vert ou bien l’aspect des pierres semi-précieuses : le jade, l’onyx, la turquoise. Il y a là une alchimie dont chaque sculpteur a le secret qu’il garde aussi jalousement que les peintres autrefois gardaient la recette de leurs pigments. Cette patine, à la chaleur intense du chalumeau, va prendre des reflets plus ou moins profonds, une palette de tons plus variés, qui vont encore enrichir le galbe des formes féminines et donner à celle-ci la splendeur des matières rares.

Le volume est le résultat de tout un jeu de lignes qui s’entrecroisent comme le parcours du rayon laser qui enserre la forme pour la reconstituer ensuite. Ces lignes tramées ont été tracées en esprit par le regard de l’artiste pour recréer la densité, le relief, et tout ce que cette masse veut contenir de sentiments et de pensées humaines. Ainsi que le cerveau, projetant son nerf optique vers le visage du fœtus pour y faire éclore un œil, chaque point de la surface a, en profondeur une racine sensible. Celle-ci puise son sens à l’intérieur même de sa masse compacte, aveugle en apparence, pour rejoindre, à l’extérieur, ce réseau qui la délimite exactement et qui s’arrête au moment où il atteint sa perfection.

Le sculpteur sait que la forme est sens. Nous savons reconnaître chez autrui, une attitude méfiante ou sereine, la méchanceté ou la bienveillance d’une physionomie… Lui, ne lit pas seulement des informations dans l’expression d’un visage, d’un corps, mais dans la forme même. Telles courbes, tel volume auront un contenu explicite : ils sauront évoquer la joie, la peur, l’animosité, sans le secours d’une légende qui les explique. Nous reconnaissons spontanément la signification d’un mouvement de tendresse, d’un geste hostile. Nous savons aussi ce que veut dire une forme aiguë et acérée, une forme ronde et pleine. Nous attribuons aux premières l’agressivité aux secondes la douceur, la volupté. Si les insectes, par exemple, déploient des griffes, des pinces, c’est non seulement pour s’en servir contre leurs ennemis, mais aussi pour dire : «attention» et les autres insectes, les oiseaux, les mammifères et nous-mêmes, comprennent les règles de ce vocabulaire spécifique. C’est si vrai que certains animaux arborent des outils tranchants alors qu’ils ne s’en servent pas : le langage des formes suffit. Nous aussi nous savons le déchiffrer, et l’artiste sait l’employer. Une forme hérissée de pointes nous fera sentir à distance sa menace. Nous éprouverons le velouté ou la morbidesse d’un pelage, d’une peau, en les caressant seulement du regard.. Notre longue histoire a écrit dans nos gènes ces messages et c’est ce langage que le sculpteur utilise pour nous toucher, nous convaincre et nous expliquer quel monde l’habite.

Tout ce qui vit, aspire à évoluer, à se transformer. Car la nature, elle aussi est un sculpteur. Ou plutôt, chaque espèce s’est mise à explorer toutes les possibilités de son devenir en utilisant le langage des formes, en variant celles-ci à l’infini. Ces changements se sont-ils faits en vue d’une acquisition de pouvoir ou d’une exploitation plus avisée de l’environnement ? Peut-être, peut-être aussi fantaisie, exubérance, création pure. Pourquoi pas ? L’artiste, le sculpteur, s’insère dans cette grande marche en avant de la nature, dans sa faculté de transformation, d’inventions. En ce sens, il est vivant parmi les vivants. Il a pris conscience de ce grand mouvement de la création et il a eu le désir, à son échelle et dans le domaine qui est le sien, d’en faire partie.

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Dan Robert
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