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courtade lanoe mazilu dan horst
poumeyrol arnaud plaindoux duc fremont
De grands, de très grands tableaux ! La première impression est celle d'un chaos, d'un enchevêtrement de formes tourmentées...
Un magma... Un écroulement... Un cataclysme archéologique d'où surgissent des vestiges de temples sacrificiels. Une civilisation a laissé là des statues taillées dans des blocs de sel où des créatures humaines et animales se sont incrustées.
Des concrétions se sont fixées sur des navires depuis longtemps immergés au fond des eaux. On pénètre dans une forêt où a lieu une reptation, un enroulement, une digestion d'énormes serpents.

Il semble que là, comme dans un cauchemar, les formes naissent les unes des autres, emportées dans un grand tourbillon onirique.
Crânes polis comme des galets, fragments de cages thoraciques déchiquetées, pans de chairs sanguinolentes, tronçons d'œsophage et de larynx, intestins turgescents et violacés... Toutes ces formes souffrent, se tordent, s'enchevêtrent comme une immense dislocation. Au milieu d'elles, des figures, des objets, surgissent : fantômes de dieux, silhouettes humaines ou animales, tentacules ou membres épars, fruits, champignons, coques d'animaux marins ou débris organiques.


Les couleurs déteignent les unes sur les autres comme de la sanie ou du sang. Une odeur d'entrailles vous prend à la gorge. Partout où le regard se pose, il ne voit que contorsion et souffrance. ll n'y a pas d'échappées.

Ce monde tourmenté est paradoxalement un monde de tons pastel : verts, mauves, bleus clairs, ivoire, avec ici ou là, de grandes floraisons oranges ou roses ! On admire les mêmes splendeurs blanc-nacré, rose persillé de rouge, violet, ocre jaune... que montrent les carcasses coupées en deux par le tranchoir du boucher. Dans cet univers tragique, ces couleurs douces semblent éclairées par des faisceaux de torches pour faire surgir des profondeurs des créatures que la lumière du jour n'a jamais touchées. Parfois se dresse un promontoire gelé, blanc et bleu, du froid brûlant des blocs de glace. Des gris et des noirs intenses font ressortir ces amas de personnages faits de craie et de cendre. L'ambition prométhéenne du peintre l'a conduit à retracer la Genèse. Les lueurs des premiers jours sont celles du soufre, de la chair et du feu.
La création baigne dans un liquide amniotique lumineux, où se tordent de grandes déchirures de nuées. L'univers tout entier se convulse dans ses premiers enfantements. La matière s'échappe de la mâchoire du temps comme les lambeaux de chairs des fils de Chronos dévorés par leur père.
Des morceaux de laves en fusion, des colonnes de cendres s'enroulent et se dispersent, des sphères de métaux incandescents que la gravitation n'a pas encore capturées jaillissent du centre de grands tourbillons. Création du monde où l'on voit, à la même échelle, une planète se former ou se scinder un ovule. Ainsi nos cellules s'étirent, s'absorbent, se reproduisent avec les mêmes mouvements erratiques sous la lentille du microscope ou dans les infinités sidérales. Des formes surgissent, engluées dans les remous de ce grand maelström. À partir des œufs fécondés par le sperme cosmique se développent les fœtus des premières créatures. Encore reliées au néant par un cordon de poussières stellaires, elles se contractent et se convulsent pour se dégager de la gangue originelle.
Puis de grandes figures apparaissent : un gigantesque christ en croix vient sauver ou maudire le monde. Le cheval de la mort vient établir son règne et les entités premières fonder leur puissance. L'humanité, jusqu'à ce que les trompettes de l'Apocalypse aient retenti, aura sous leur domination, un long chemin d'effrois et de souffrances à parcourir.
Souvent au cœur du tableau s'érigent des entités redoutables : Hermès Trismégiste, alchimiste et sorcier, maître du mercure, du sel et du soufre et toutes ses sœurs, les déesses féminines toutes-puissantes. D'elles sortent des filaments qui se tordent comme des serpents ou des membres tétanisés. Elles sont tressées d'algues, engluées dans des linceuls de fils d'araignée, incrustées de coquillages, de débris d'os, de ganglions malsains et d'ébauches de créatures qui se forment aux dépens de leur substance. Elles veillent des temples morts, de grandes architectures où ont été consacrés des prêtres et des dieux. Elles sont la Gorgone dont le corps est tapissé de filaments neuronaux, la Sphinge divinatrice vêtue des lambeaux de ses victimes, prête à dévorer celui qui ne sait pas, Hécate la sorcière tricéphale, entité des ténèbres, déesse de la lune, mère des songes, accompagnée de chiens hurlant à la mort et tenant contre son sein des pommes empoisonnées. Quelque part dans le tableau, le peintre veille.
Une tête, sa tête, son portrait, représenté comme une excroissance sur un rocher, se reconnaît au regard lucide qu'il pose sur nous.
Autour de lui, issues de lui, tournent ses créatures familières. Il les connaît, il est leur père, leur créateur. Elles sortent de lui, il les a enfantées. Elles le protègent, le consolent, se pressent les unes contre les autres, créant des îlots compacts de tendresses. Des fantômes affairés, attentifs, viennent le frôler, un oiseau pose sa patte sur son épaule, une forme féminine rose et bleue lui tend son bras compatissant, des compagnes vêtues de blanc, ont envers lui des gestes aimants... Les animaux familiers et tendres qui s'approchent de lui et cherchent sa protection sont pourtant destinés aux sacrifices : agneaux, biches, petits rongeurs, chèvres et boucs, chiens que la douleur rend agressifs, chevaux surtout, voués à l'abattoir et l'équarrissage : os saillants, viscères sanguinolents, têtes devenues des crânes hennissants qui souffrent encore.

Des traits délimitent dans ses tableaux de grandes découpes rectangulaires. De vastes surfaces réfléchissantes où les mêmes sujets, les mêmes formes se répètent dans un jeu de miroirs. Des créatures s'en échappent, figures humaines ou animales qui viennent hanter les premiers plans du tableau. Elles se répondent et communiquent d'une toile à l'autre, lançant ça et là un bras, une racine, un tentacule. L'artiste est enserré par ses créations.
Il semble émaner du monde qu'il a enfanté et vivre à travers lui. C'est dans ses toiles qu'il peut s'échapper vers des paysages où s'entassent des blocs de lave, où se découpent sur le ciel des nuages tourmentés. C'est là qu'il visite ces monuments, ces stèles, ces tombeaux. C'est là qu'il peut interroger les entités obscures. C'est dans son œuvre qu'il peut atteindre ces espaces traversés de météorites et hanter ces nuits peuplées de formes indistinctes et de hurlements de loups. Dans ces tableaux gigantesques, il a pris son élan, déployé des formes qui mettent en face de notre monde une autre création issue de son propre fond et de ses propres tourments. Une création digérée et régurgitée, recrachée comme un amas compact de choses qui l'oppressent. Il a exploré à l'intérieur de son corps à la fois le battement de ses artères et les méandres de ses songes, les torsions de ses entrailles, ses aspirations, ses emportements, son sentiment à la fois psychique et organique de la vie.

Un mélange de viscères, de passions exacerbées, d'enroulements internes et d'élans mystiques. Un bouleversement où se mêlent ses digestions physiologiques et mentales, ses pensées, ses pulsions, et cette souffrance brandie comme un défi. Y a-t-il une réponse à ce monde intérieur qui, devant nous, crie de douleur ? Malgré des représentations consolantes de tendresse humaine et animale, chaque œuvre se tord comme un grand corps en proie à la géhenne et semble un reproche à la Nature toute entière et au mal qui s'y déploie.
Un immense tableau paraît représenter une pause, une étape, dans l'œuvre d'Arnaud. C'est un Eden où s'apaisent les tourments. Au tiers du tableau, une colonne semble soutenir une pesante voûte céleste. À sa base veille Cerbère, le chien assis devant la porte des enfers. Au loin, il y a une trouée blafarde où tournent des astres morts. Un château en ruines se découpe sur un ciel de soufre. Mais là, nous sommes dans des limbes où le mal est tenu à distance. Un bloc se détache à droite sur le noir de la nuit. Les statues sculptées dans ce promontoire semblent des figures de proue surveillant l'horizon. Elles sont étroitement amalgamées, figées dans la lave et le sel mais leurs yeux aux aguets semblent attendre. Il y a toujours ces figures de femmes, d'animaux, pétris dans un limon blanc aux reflets verdâtres, creusé de cavités comme la pierre ponce, ces torsions de racines et cette boue pétrifiée, mais une certaine sérénité semble planer sur les créatures. La végétation animale qui croît et s'enroule à droite donne aux couleurs pastel qui la revêtent une somptuosité apaisée. Ce monde est en attente mais aussi, pour la première fois, il semble pressentir une rédemption.

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